Savoir gérer le froid n’est pas une compétence innée. C’est ce que je réalise alors que nous traversons trois jours où les températures tournent entre 0 et 6 degrés, plongeant la ville dans une sorte de léthargie hébétée.
Ma copine J. poste une story sur Instagram où elle se plaint du froid. « Comme il fait 6 degrés, je suis sortie en pyjama et en peignoir pour aller au travail ! », écrit elle fièrement.
Elle ne porte pas d’écharpe, ni de veste… et elle est en tongs. Il y a de quoi souffrir vraiment du froid.
Le concierge de mon immeuble frissonne, les bras serrés sur sa doudoune. Pourtant, la climatisation fonctionne à plein régime…
Et mon amie S. chauffe son appartement à fond avec un petit chauffage d’appoint. Ses vitres se mettent à ruisseler et son papier peint à craquer. Quand je lui dis qu’il faut aérer… que c’est la condensation, elle tombe des nues.
Tout comme j’ai dû apprendre à vivre avec des chaleurs extrêmes pendant l’été, le froid, cela s’apprivoise.
Ca y est. L’heure de l’annonce a sonné. Les gens savent que 2024 sera fait d’un déménagement !
Nous recevons donc toutes sortes de messages qui se veulent être gentils et bienveillants – et oui, nous avons hâte de revoir les amis et la famille. Mais parfois, sans le vouloir, certains sont maladroits lorsqu’ils commentent notre retour.
Pour ceux n’ayant pas déménagé d’un pays à un autre, voici donc un petit mode d’emploi non exhaustif des choses à ne pas dire à des expatriés qui déménagent 😅 :
« Vous rentrez définitivement ? » – Cette remarque est celle que j’entends le plus. Je comprends ce qu’elle sous-entend : un retour pour vivre dans le pays de départ et non des vacances. Cependant, tout expatrié aura des palpitations en entendant le mot « définitif ». Je n’ai pas 85 ans, qui sait de quoi demain sera fait ? Pourquoi devrais je anticiper mes 40 ou 50 prochaines années avec un simple déménagement ? Rien n’est définitif dans la vie et je trouve cela rassurant !
« Ah, vous avez un déménageur, tranquille ! » – Euh. Oui… enfin… en Suisse, j’ai déménagé un certain nombre de fois, mais là, il ne s’agit pas de déménager de Lausanne à Morges en louant un camion. Nous allons changer de pays et traverser des mers. Au-delà des cartons, il nous faudra régler une tonne de détails administratifs (et dans une langue qui n’est pas la nôtre)… tout trier, résilier, annoncer, s’assurer que nous ne laissons pas un élément essentiel partir par erreur dans le container, tout scanner, tout récupérer et ne rien oublier. Et en sachant qu’il faudra recommencer de l’autre côté… Heureusement que nous avons l’aide de déménageurs, ou nous ferions une syncope.
Mais comment ça, tu es triste ? Tu n’es pas contente de nous revoir ? – Oui. On se réjouit de revoir la famille et les proches. Nous sommes contents sur de nombreux aspects. Mais nous sommes aussi tristes – et stressés… et nostalgiques. Nous allons laisser derrière nous de nombreux amis, un pays qu’on a adoré, une routine, des habitudes… des choses que nous avons apprises ! Nous sommes donc contents mais nous avons aussi le droit d’être tristes et ce n’est pas parce que nous sommes tristes, que nous ne sommes pas heureux de vous revoir ! Et on aurait très certainement envie de pouvoir parler de ces diverses émotions avec vous sans avoir l’impression que ça vous vexe.
Mais quelle jolie parenthèse vous avez vécue là ! » – Hurm… je n’ai pas vécu de parenthèses ni d’aventure ou d’expérience. Ces six dernières années ont été ma vie. Ma vraie vie. Je n’ai rien mis sur pause. J’ai vécu, changé… juste vécu ma vie, la vraie vie. Pour moi, ça a été six années capitales ! Pas une parenthèse imaginaire, une émission de téléréalité type Koh Lanta ou un joli petit voyage.
Sur ce, je retourne à mon tri et mon dépoussiérage !
Nos racines ne sont pas dans notre enfance, dans le sol natal, dans un lopin de terre, dans la prairie enclose où jouent les enfants de la maternelle. Nos racines sont en chaque lieu que nous avons un jour traversé.
Ainsi, comme le gratteron, croissons-nous en nous agrippant ici et là. Et ces chemins qui serpentent sans fin, et ces forêts bleuissant dans le lointain — sans parler des montagnes de nos rêves —, les lieux étrangers et les noms étrangers, deviennent nôtres et de nouveau étrangers.
Ils ne nous quittent pas pour de bon. Soudain la canne du marcheur reverdit, et prend racine, et refleurit
(Karl Ristikivi)
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Nous venons d’apprendre juste avant Noël que nous rentrons en Suisse. 2024 sera donc l’année d’une nouvelle expatriation puisque nous allons redécouvrir le pays que nous avons quitté, avec d’autres yeux… d’autres rêves et d’autres manières de vivre que nous avons adoptées.
Heureusement, Hong Kong restera dans nos cœurs et dans nos vies. De par mes projets artistiques en cours, pour lesquels je devrai revenir… mais aussi grâce au reste : les amis, la vie que nous nous sommes construit ici et grâce aux racines qui se sont plantées à Hong Kong !
Désormais, pour commencer 2024 sur les chapeaux de roue, il va falloir faire les cartons et trier… je vous raconterai sûrement certaines de ces étapes ici.
Dong, dong, dong… nous sommes le 31 décembre (oui je poste toujours avec un jour de délai). J’ouvre un œil et elle est là, elle m’attend, la vieillesse ! Les portes sont ouvertes. Il est temps de quitter la trentaine ! En novembre 2024, je rentrerai dans ma quarantième année et… pour me rappeler que c’est un pas de plus en direction de ma tombe… le réveil se fait avec un affreux torticolis ! Je suis aussi rigide qu’un garde suisse en plein service. J’ai mal !
L’avantage : j’ai le port altier de la reine d’Angleterre ! Très chic pour aller prendre le petit-déjeuner.
Bref. Malgré cela, nous décidons quand même d’aller explorer Shenzhen. Douleur, je t’aurai ! Nous nous dirigeons donc vers le OCT Creative Hub, un quartier d’anciennes usines réaffecté en zone creative. Boutiques de designers, galeries, librairies, ateliers… nous explorons les coins et recoins de ce quartier à l’ambiance hipster et détendue.
Nous admirons une exposition très étrange. J’en viens à me demander si les textes expliquant les oeuvres n’ont pas été écrits par Chat GPT avant d’être grossièrement traduits sur un outil de traduction automatique tant ça n’a ni queue ni tête – il est question d’anges et de cheval vert que nous sommes tous au fond de nous… ainsi que de pigeons qui représentent la vie (mais les œuvres étant… esthétiquement discutables également… ça se recoupe – et pourtant habituellement, j’aime beaucoup l’art contemporain).
Nous nous arrêtons ensuite dans un café, observant les gens aller et venir. Je cale mon cou contre un rebord et je suis bien, avec la musique électro qui s’échappe de hauts parleurs. Il fait 25 degrés. C’est très agréable.
Ensuite, nous nous dirigeons vers un autre lieu vanté par les blogs listant les choses à faire à Shenzhen. La ville étant récente… elle s’est construite en 30 ans à peine sur un petit village de pêcheurs dont il ne reste que peu de choses… nous n’embrayons donc pas sur une visite historique. J’ai lu que le quartier de Upperhills était super, très beau architecturalement parlant. Alors go ! Mais en arrivant, c’est la déconfiture : c’est juste un mall. Il est certes assez Instagrammable et a la particularité d’être suspendu entre deux parcs… mais à part cela, c’est juste un centre commercial en somme. Nous en faisons vite le tour et rentrons faire une petite sieste. Je dois être en forme pour ce soir, il n’est pas question que mon torticolis m’empêche de célébrer 2024 avec panache! Non non non ! 2024 sera l’année de tous les possibles puisque je serai excusée de tout (ce sera la crise de la quarantaine, ça ne sera pas de ma faute, niak niak niak)!
Le soir venu, nous sortons manger. Nous nous asseyons sur une terrasse, un 31 décembre. Même après 6 ans loin de la maison, je n’en reviens toujours pas. Devant nous, un énorme sapin de Noël décore la rue (en passant en boucle Last Christmas, All I want for Christmas is you et Santa Claus is coming to town…). Une machine à mousse simule de la neige. Les gens sont tout fous et patinent sur le sol devenu glissant.
Après le repas, nous nous promenons un peu (et fuyons la musique de Noël) puis nous rejoignons le bar où jouaient les musiciens sud-africains d’hier soir. Ils organisent un concert spécial fait de reprises très festives. J’avale un anti douleur et hop, je suis prête pour la soirée. Il faut dire qu’il y a 4 ans que nous n’avons pas eu le droit de célébrer dignement le passage de nouvel an et je suis avide de musique live et de fête. Nous nous en donnons à cœur joie. C’est super super sympa ! Et c’est ainsi que nous rentrons dans 2024 !
Ce matin, il pleut sur Guangzhou. La ville est recouverte d’un petit brouillard désagréable. Nous restons donc au chaud en attendant l’heure de nous rendre à la gare.
Vers 10h30, nous nous mettons en branle. Sur la route vers la gare qui se situe vraiment hors du centre, nous observons des bâtiments aux formes improbables. Puis, en arrivant à la gare, nous sommes surpris par sa taille. Elle est plus grande que l’aéroport de Genève ! C’est une halle immense !
30 minutes plus tard, nous voilà à Shenzhen ! Nous déposons nos affaires à l’hôtel avant de partir explorer Daifen, un village d’artistes, situé dans l’agglomération de Shenzhen.
Le lieu a été fondé par un homme d’affaires et peintre hongkongais en 1989. En effet, à cette époque là, la multinationale Walmart aurait commandé au businessman 40’000 tableaux à livrer en 40 jours. Il aurait donc ouvert un studio à Daifen et engagé de nombreux copistes…
Le succès est au rendez-vous. Il crée donc une usine, ce qui attire de nombreux jeunes artistes qui viennent s’y établir et le lieu devient la capitale mondiale de la copie de toiles.
En 2002, dixit mon ami Wikipedia, 150 ateliers emploiaient 8 000 peintres qui ont chacun leur spécialité (portraits, tableaux de Van Gogh, peinture traditionnelle chinoise, Léonard de Vinci, cubisme, etc.). 60% des copies à l’huile mondiale seraient d’ailleurs créés là.
Dans la culture locale, les artistes ne considèrent pas la copie comme quelque chose de mal mais comme un grand savoir faire qui leur permet de gagner leur vie tout en pratiquant leur art. Pour ma part, en arpentant les rues, je suis épatée par la dextérité des artistes qui créent des œuvres sublimes.
Au dehors, de nombreux cours de peinture sont donnés à même la rue. C’est une ambiance très agréable et j’ai un vrai coup de coeur pour cet endroit insolite !
Nous continuons notre balade jusqu’à Dongmen, une zone piétonne spécialisée dans la streetfood. Des marchés immenses vendent toutes sortes de choses à manger : brochettes, pancakes aux oignons, fruits de mer, patates sautées, desserts colorés. Nous nous en donnons à cœur joie et goûtons de tout.
Puis, nous terminons la soirée en écoutant un groupe de RnB sud-africain chanter divinement bien au coeur d’un bar en haut d’une tour. Une journée parfaite en somme.