27 mars – La faille spatio-temporelle

J’allume la télévision et je commence à zapper.

Un dîner presque parfait. Scènes de ménage. L’amour est dans le pré. Marié au premier regard… rien n’a changé ! Je suis partie depuis 6 ans déjà et les programmes sont figés ! Fort Boyard le samedi soir. Les douze coups de midi. Il y a juste les acteurs et les présentateurs qui vieillissent un peu. C’est tout.

Je reste scotchée devant une émission de cuisine. Pendant 20 minutes, ils répètent en boucle la même chose – comme si nous étions débiles. « Ce plat est original. Ils réinventent les saveurs. Le mariage du sucré salé est une réussite. C’est vraiment original. Bravo d’avoir ainsi réinventé les saveurs. Quelle réussite ce mariage du sucré salé… »

Je reste hautement dubitative.

26 mars

Deux choses me frappent ce matin :

– La première, c’est que les gens sentent le parfum. Très fort.

– La deuxième, c’est que je dois désormais faire gaffe à ce que je dis. C’était bon de vivre dans un endroit où personne ne parlait ma langue et où je pouvais dire tout ce que je voulais haut et fort. A l’inverse, je comprends également toutes les conversations (qui sont parfois très drôles). Il est désormais difficile de se concentrer quand je lis dans les espaces publics.

14 janvier – Les mots du retour

Ca y est. L’heure de l’annonce a sonné. Les gens savent que 2024 sera fait d’un déménagement !

Nous recevons donc toutes sortes de messages qui se veulent être gentils et bienveillants – et oui, nous avons hâte de revoir les amis et la famille. Mais parfois, sans le vouloir, certains sont maladroits lorsqu’ils commentent notre retour.

Pour ceux n’ayant pas déménagé d’un pays à un autre, voici donc un petit mode d’emploi non exhaustif des choses à ne pas dire à des expatriés qui déménagent 😅 :

  • « Vous rentrez définitivement ? » – Cette remarque est celle que j’entends le plus. Je comprends ce qu’elle sous-entend : un retour pour vivre dans le pays de départ et non des vacances. Cependant, tout expatrié aura des palpitations en entendant le mot « définitif ». Je n’ai pas 85 ans, qui sait de quoi demain sera fait ? Pourquoi devrais je anticiper mes 40 ou 50 prochaines années avec un simple déménagement ? Rien n’est définitif dans la vie et je trouve cela rassurant !
  • « Ah, vous avez un déménageur, tranquille ! » – Euh. Oui… enfin… en Suisse, j’ai déménagé un certain nombre de fois, mais là, il ne s’agit pas de déménager de Lausanne à Morges en louant un camion. Nous allons changer de pays et traverser des mers. Au-delà des cartons, il nous faudra régler une tonne de détails administratifs (et dans une langue qui n’est pas la nôtre)… tout trier, résilier, annoncer, s’assurer que nous ne laissons pas un élément essentiel partir par erreur dans le container, tout scanner, tout récupérer et ne rien oublier. Et en sachant qu’il faudra recommencer de l’autre côté… Heureusement que nous avons l’aide de déménageurs, ou nous ferions une syncope.
  • Mais comment ça, tu es triste ? Tu n’es pas contente de nous revoir ? – Oui. On se réjouit de revoir la famille et les proches. Nous sommes contents sur de nombreux aspects. Mais nous sommes aussi tristes – et stressés… et nostalgiques. Nous allons laisser derrière nous de nombreux amis, un pays qu’on a adoré, une routine, des habitudes… des choses que nous avons apprises ! Nous sommes donc contents mais nous avons aussi le droit d’être tristes et ce n’est pas parce que nous sommes tristes, que nous ne sommes pas heureux de vous revoir ! Et on aurait très certainement envie de pouvoir parler de ces diverses émotions avec vous sans avoir l’impression que ça vous vexe.
  • Mais quelle jolie parenthèse vous avez vécue là ! » – Hurm… je n’ai pas vécu de parenthèses ni d’aventure ou d’expérience. Ces six dernières années ont été ma vie. Ma vraie vie. Je n’ai rien mis sur pause. J’ai vécu, changé… juste vécu ma vie, la vraie vie. Pour moi, ça a été six années capitales ! Pas une parenthèse imaginaire, une émission de téléréalité type Koh Lanta ou un joli petit voyage.

Sur ce, je retourne à mon tri et mon dépoussiérage !

26 septembre – Les rebelles des champs

Le car postal est rempli d’écoliers qui doivent avoir 9-10 ans. Autour de nous, des champs à perte de vue. Le bus croise à peine un tracteur qui s’avance sur la route.

Soudain, un gang de rebelles se met à hurler :

– Frère ! J’hallucine. C’est grave relou. Le bus va avoir 2 minutes de retard.

– Gros, les bouffons… jamais à l’heure.

Les deux garçonnets ont les cheveux en bataille, des lunettes et un t-shirt Spiderman.

Dans un langage fleuri de verlan… teinté d’accent vaudois… ils pestent contre les retards des transports publiques.

On est Suisse, ou on ne l’est pas !